Discours de Son Excellence Professeur Faustin Archange Touadera, Président de la République, Chef de l’Etat à l’occasion de la rentrée judiciaire des cours et tribunaux 2024-2025

19 Juillet 2024

BANGUI, LE 12JUILLET 2024
Monsieur le Président de l’Assemblée Nationale ;
Monsieur le Premier Ministre, Chef du Gouvernement ;
Messieurs les Présidents des Institutions de la République ;
Monsieur le Ministre d’Etat chargé de la Justice, de la Promotion des Droits Humains et de la Bonne Gouvernance, Garde des Sceaux ;
Mesdames et Messieurs les Membres du Gouvernement ;
Excellences Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs et Représentants des Organismes Internationaux ;
Monsieur le Premier Président de la Cour de Cassation ;
Monsieur le Procureur Général près la Cour de Cassation ;
Monsieur le Président du Conseil d’Etat ;
Messieurs les Président et Procureur Général de la Cour des Comptes ;
Messieurs les Chefs des Cours et Tribunaux ;
Mesdames et Messieurs les Députés ;
Monsieur le Président de la Délégation Spéciale de la Ville de Bangui ;
Mesdames et Messieurs les Magistrats et Juges ;
Monsieur le Bâtonnier de l’Ordre des Avocats ;
Monsieur le Président de la Chambre des Huissiers de Justice ;
Monsieur le Président de la Chambre Nationale des Notaires ;
Mesdames et Messieurs les Greffiers et Secrétaires en Chef ;
Mesdames et Messieurs les Avocats, Huissiers de Justice et Notaires ;
Distingués invités;
Mesdames et Messieurs ;
Le pouvoir judiciaire, gardien des libertés et de la propriété, est tenu d’assurer le respect des principes consacrés comme bases fondamentales de notre société, aux termes de l’article 127 de la Constitution du 30 août 2023.
Au moment où je prends la parole pour vous souhaiter la bienvenue à l’Audience Solennelle de la Cour de Cassation consacrée à la Rentrée des Cours et Tribunaux de la République Centrafricaine, que je préside à nouveau en ce haut lieu de la démocratie, chacun d’entre nous mesure la portée considérable de cette disposition constitutionnelle.
Elle montre sur quelle pierre d’angle reposent la paix, la sécurité, la réconciliation nationale, la démocratie et le développement de notre pays.
Je saisis ce moment pour exprimer mes remerciements et ma reconnaissance à l’égard de tous les pays ainsi que les organisations et organismes internationaux ici représentés qui ont pris l’heureuse initiative de soutenir la justice centrafricaine.
Je tiens également à féliciter et encourager les acteurs judiciaires pour les efforts et sacrifices consentis au cours de l’année judiciaire écoulée.
Je saisis cette occasion solennelle pour réitérer toutes mes sincères condoléances à la famille judiciaire pour la disparition de certains de ses membres au cours de l’année judiciaire 2023-2024.
Distingués invités ;
Mesdames et Messieurs ;
Les vacances judiciaires et la rentrée judiciaire ne sont pas seulement une tradition républicaine, mais une exigence légale prévue par les textes portant respectivement Statut des Magistrats de l’Ordre judiciaire, Statut des Juges de l’Ordre Administratif et Statut des Juges de la Cour des Comptes.
En me soumettant à cette exigence, je veux réaffirmer une fois de plus mon engagement à faire de la Justice le véritable socle de la consolidation de la paix et de la cohésion sociale, gage du développement durable de notre pays.
Je voudrais de prime abord adresser mes vifs remerciements aux différentes personnalités présentes à cette cérémonie de rentrée des Cours et Tribunaux de notre grand et beau pays, la République Centrafricaine.
Mes remerciements s’adressent également à l’ensemble des organisations de la société civile qui contribuent à la mise en œuvre de la Politique Sectorielle de la Justice et de la Politique Nationale des Droits de l’Homme.
Je tiens à féliciter et à encourager les Magistrats, Juges, Greffiers, Cadres de l’Administration Pénitentiaire exerçant dans les Cours et Tribunaux ainsi qu’à la Chancellerie pour les résultats de plus en plus palpables présentés par Monsieur le Procureur Général au cours de l’année judiciaire 2023-2024 qui s’achève.
Je n’oublie pas les acteurs des professions libérales que sont les Avocats, les Huissiers de Justice et les Notaires dont le concours à une bonne administration de la justice relève de l’évidence.
Mesdames et Messieurs les acteurs judiciaires Magistrats,
La rentrée judiciaire est l’occasion non seulement d’échanger sur les réalisations, les faiblesses et les perspectives afin qu’ensemble nous relevions les immenses défis de l’offre et de l’accès à un service public de justice de qualité, mais également pour les nous d’aborder certaines problématiques qui touchent au bon fonctionnement de la justice et à l’amélioration des conditions de travail ainsi que certaines questions spécifiques.
Je voudrais rappeler que la justice constitue la pierre angulaire de la paix, de la stabilité et de l’Etat de Droit.
C’est la raison pour laquelle je l’ai placée dans le premier axe de ma vision pour un Centrafrique nouveau et prospère.
Le peuple centrafricain place en effet un grand espoir en la justice pour assurer avec efficacité la lutte contre l’impunité, la corruption et les infractions assimilées, mais surtout pour garantir le respect des Droits Humains.
J’avais engagé, avec l’appui et le soutien multiforme de nos partenaires techniques et financiers, la mise en œuvre de la politique sectorielle de justice dans le but de favoriser l’offre d’une justice de qualité et accessible à tous les Centrafricains et à toute personne ayant choisi de s’établir amicalement sur le territoire de notre pays.
La mise en œuvre de l’aide légale dont les différents textes d’application sont déjà publiés procède de cette volonté d’assurer l’égalité de tous devant la Justice.
C’est pour cela que j’apprécie les courageuses actions prioritaires engagées dans le cadre de la mise en œuvre de la Politique sectorielle de la Justice, notamment celles en faveur de la mise en œuvre de l’Aide légale qui va faciliter l’accès à la justice, sans discrimination aucune des personnes vulnérables que sont les femmes et enfants victimes des violences sexuelles basées sur le genre et liées aux conflits, les veuves, les orphelins, les personnes vivants avec le VIH ou âgées.
Il en est aussi de l’adoption du document de politique nationale des Droits de l’Homme qui vise essentiellement la protection et la promotion des Droits Humains dans notre pays.
Afin de renforcer cette dynamique, nous avons intégré dans la Fonction Publique deux cent quatre-vingt-quinze (295) cadres de l’administration pénitentiaire, formés et équipés avec l’appui du Gouvernement américain.
Par ailleurs, vingt-quatre (24) Greffiers-stagiaires ont également bénéficié des dividendes du dialogue retrouvé entre le Pouvoir Exécutif et le Pouvoir judiciaire.
Le renforcement des effectifs du personnel judiciaire va s’accélérer avec, bientôt, la fin du stage de soixante-quatre (64) Auditeurs de justice et de quarante (40) Greffiers-stagiaires.
Cette augmentation des effectifs du personnel judiciaire vient à point nommé car dans ma volonté d’améliorer l’offre et l’accès à la justice, quatre (4) Cours d’Appels et Tribunaux de Grande Instance supplémentaires vont être érigés, dans un proche avenir, dans nos Préfectures et Sous-préfectures.
Cette nouvelle carte judiciaire et la carte pénitentiaire qui en découlera s’arrimeront au nouveau découpage administratif.
La justice sera ainsi facilement accessible car géographiquement proche des justiciables.
La nouvelle carte judiciaire à naître sera également l’occasion de rapprocher le contentieux administratif, le contentieux commercial, le contentieux social et la justice des mineurs du justiciable.
Je salue, pour illustrer mon propos, le déroulement en cours, pour la première fois dans l’histoire de la justice centrafricaine, du stage des auditeurs de justice de la justice administrative.
Mesdames et Messieurs les Magistrats et Juges,
Mesdames et Messieurs,
Lors de mon adresse à la Nation à l’occasion de l’anniversaire de mon investiture à la Magistrature Suprême de l’Etat, le 30 mars 2024, j’avais instruis le Gouvernement et plus particulièrement le Ministre d’Etat chargé de la Justice, de la Promotion des Droits Humains et de la Bonne Gouvernance, Garde des Sceaux, de faire de la lutte contre l’impunité une priorité absolue.
Je ne saurais taire mon sentiment de grande satisfaction après avoir constaté que la lutte contre l’impunité s’est intensifiée au cours de l’année judiciaire qui s’achève par l’organisation de nombreuses sessions criminelles tant à Bangui qu’en provinces à l’occasion desquelles plus de sept cent (700) dossiers ont été jugés.
Je suis également satisfait de l’organisation régulière des audiences correctionnelles et des sessions des Cours martiales, pour les infractions commises par les Forces de Défense et de Sécurité.
La justice transitionnelle représentée par la Cour Pénale Spéciale a emboîté le pas aux juridictions de droit commun par le renouvellement de son mandat pour une durée de cinq (5) ans et l’organisation régulière des audiences.
Même si certains résultats positifs ont été enregistrés, je dois vous dire que nos concitoyens estiment qu’il y a encore beaucoup d’efforts à déployer pour améliorer davantage le bon fonctionnement de la Justice et raffermir la confiance de nos Compatriotes envers la Justice.
Je voudrais vous rappeler qu’une bonne partie de nos concitoyens, si ce n’est la majorité, estime qu’il y a encore cet ennemi de la justice, la corruption et d’autres mauvaises pratiques qui se glissent sournoisement dans les bonnes intentions, dans les décisions et les actions des Magistrats, Juges, Greffiers, Avocats, Notaires, et personnel pénitentiaire.
Les justiciables relèvent malheureusement que certains acteurs judiciaires ne sont plus guidés par la déontologie, le serment et la loi.
D’autres Magistrats et Juges succomberaient facilement sous les pressions et interventions intempestives dans les dossiers judiciaires exercées par leur hiérarchie, alors que celles-ci ne seraient inspirées que par des intérêts familiaux ou personnels.
J’instruis également le Ministre d’Etat chargé de la Justice, de la Bonne Gouvernance, à veiller à ce que les affaires judiciaires ne soient traitées uniquement que par les Cours et tribunaux, conformément à l’article 124 alinéa 2 de la Constitution, et non dans les appareils administratifs, ainsi qu’il ressort des dénonciations de beaucoup de nos Compatriotes.
Mesdames et Messieurs les acteurs judiciaires
Monsieur le Procureur Général,
J’apprécie à sa juste valeur votre proposition visant à revisiter les mécanismes traditionnels de financement des missions de la Justice centrafricaine.
Notre Justice avait organisé avec brio de grands procès à la satisfaction de notre peuple.
Le dénuement quasi-total de nos juridictions en moyens financiers doit certainement expliquer la portion restante de la satisfaction de nos concitoyens à laquelle je faisais allusion plus-haut.
Vous avez bien fait de mentionner le caractère technique des questions financières.
Un état des lieux des sources de financement de nos juridictions doit être dressé, suivi de propositions de mesures correctives en vue de rétablir ce qui existait déjà, de déceler ce qui manque, de réajuster les montants au coût de la vie et simplifier les procédures de décaissement.
J’instruis en conséquence le Ministre d’Etat chargé de la Justice, le Ministre des Finances et du Budget et le Ministre de l’Economie et du Plan, de mettre en place un groupe d’Experts des trois Ministères qui devra se pencher sur ces questions.
Le Comité aura également la mission de proposer au Gouvernement des mesures visant à simplifier les procédures de recouvrement des amendes et tous autres frais de justice.
D’ici là, il me paraît utile de vous rappeler mes préoccupations quant aux problématiques de surpopulation carcérale consécutives :
aux longues périodes de détentions préventives ;
aux immixtions et interférences dans le fonctionnement des juridictions perpétrées par certains Magistrat et juges, les cadres de l’administration pénitentiaire ainsi que les Officiers de Police Judiciaire ;
aux lenteurs dans le traitement des affaires civiles et commerciales ainsi que dans la rédaction des factums;
à la qualité des décisions de justice et les difficultés d’exécution des arrêts des cours.
Mesdames et Messieurs les Magistrats, Juges, Greffiers, Cadres de l’Administration pénitentiaire, Avocats, Notaires et Huissiers de Justice,
Je me réjouis que la redevabilité, la reddition des comptes et la lutte contre l’impunité visent également les acteurs judiciaires.
Ainsi, au cours de l’année judiciaire 2023-2024, vingt (20) Magistrats ont été sanctionnés dont quatorze (14) révocations pour diverses fautes professionnelles.
Des procédures disciplinaires et des poursuites pénales sont en cours contre les membres des professions judiciaires libérales, à savoir les Avocats, les Notaires, les Huissiers de Justice et les Cadres de l’Administration Pénitentiaire.
En vue de renforcer les mesures visant l’assainissement managérial du secteur de la Justice, j’instruis le Ministre d’Etat chargé de la Justice de ne ménager aucun effort pour faire adopter par l’Assemblée Nationale, le projet de loi portant Code d’Ethique et de Déontologie des acteurs Judiciaires pour encadrer plus efficacement l’exercice des différentes activités professionnelles dans le secteur au profit de l’Etat de droit.
Je vous rappelle en cette circonstance solennelle que la République compte sur vous pour relever notre Nation et la rendre prospère.
Je voudrais lancer, dans cette perspective, un signal fort et clair de tolérance zéro aux ennemis de la Nation grâce à l’intensification de la lutte contre l’impunité, la poursuite systématique des crimes de sang, les graves violations des droits humains, y compris les violences sexuelles basées sur le genre et liées au conflit, la traite des personnes, la violation du Droit International Humanitaire ainsi que les crimes économiques dont la corruption et le détournement des deniers et biens publics sont les principales manifestations.
Je me réjouis de l’heureuse initiative prise par le Ministre d’Etat chargé de la Justice, d’organiser pour la première fois dans l’histoire de la Justice de notre pays, la Conférence des Magistrats du Ministère Public, et surtout d’avoir défini les principaux axes stratégiques de poursuites en matière pénale, objet de la circulaire relative aux instructions de politique pénale, remise aux Magistrats du Ministère public et aux Officiers de Police Judiciaire.
J’instruis le Ministre d’Etat chargé de la Justice de prendre les mesures idoines en vue d’institutionnaliser cette Conférence des Magistrats du Ministère Public qui, de mon point de vue, devra être un outils destiné à pérenniser les échanges d’expériences entre acteurs du sous-secteur d’une part et, d’autre part, un outils d’évaluation du chemin parcouru chaque année judiciaire par l’identification des forces et faiblesses des actions menées et la formulation de nouvelles politiques pénales assises sur des actions réalistes en réponse aux phénomènes criminels dont la récurrence nous interpellent tous.
Le Pouvoir Exécutif, par ma voix, s’engage à jouer pleinement sa partition dans ce combat contre l’impunité en apportant à la Justice les appuis financiers nécessaires en vue d’améliorer les conditions de travail de l’ensemble des acteurs judiciaires de notre pays.
Je réitère mes instructions aux Ministres de la Justice et des Finances d’envisager des mesures idoines pour la construction d’une nouvelle Chancellerie qui participe à la bonne gouvernance et à l’amélioration de la visibilité du Ministère.
Pour clore cet aspect des appuis du Gouvernement en faveur de la Justice, le moment me semble venu d’envisager un projet de loi de programmation judiciaire qui, s’appuyant sur les politiques nationales et sectorielles de la Justice, établira les priorités et les programmations financières que le Budget prendra en compte, par séquences, pour rendre fonctionnelles, de manière intégrée, nos juridictions par la construction et la mise aux normes des infrastructures des juridictions ainsi que leurs moyens de fonctionnement.
C’est pour vous dire clairement que la 7ème République consacre la lutte contre l’impunité comme la rampe de lancement de l’émergence de notre cher et beau pays.
J’exhorte donc, chacun de vous, acteurs judiciaires, à redoubler d’effort pour honorer notre Justice et satisfaire nos populations.
Distinguées Personnalités,
Mesdames et Messieurs,
Notre pays, la République Centrafricaine, a déployé des efforts remarquables par :
l’adoption du document de la Politique Nationale des Droits de l’Homme ;
la soumission des différents Rapports Périodiques en matière de Droits de l’Homme ;
le passage réussi à l’Examen Périodique Universelle devant les différents organes du Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies.
Pour couronner ma vision, le Ministre d’Etat chargé de la Justice, de la Promotion des Droits Humains et de la Bonne Gouvernance est instruit de présenter la candidature de notre pays à la prochaine élection des membres dudit Conseil, pour consolider sa position dans ce domaine et traduire sa volonté inébranlable de partager les valeurs universelles des Droits humains avec les autres pays du monde.
Mesdames et Messieurs les Magistrats et Juges,
Distinguées Personnalités,
Je reste toujours sensible aux résultats des travaux de votre Assemblée Générale qui vont se tenir à la suite de cette cérémonie de rentrée judiciaire, pour qu’ensemble, nous puissions relever les immenses défis de lutte contre l’impunité et répondre à la soif légitime de la population à travers l’offre et l’accès à la justice par son rapprochement géographique.
J’espère de tout cœur que les attentes très élevées placées à vos échanges lors de l’Assemblée Générale seront réalisées.
Je voudrais adresser ma gratitude à tous les partenaires techniques et financiers pour leurs appuis et soutiens multiformes en faveur de la Justice et du respect des Droits humains en République Centrafricaine.
Je tiens à adresser mes félicitations à tous les acteurs judiciaires pour l’efficacité de leur collaboration en vue d’améliorer l’image de la Justice et d’en favoriser l’offre et l’accès à tous sur l’étendue du territoire national.
Je souhaite à tous ceux et à toutes celles qui sont venus de nos Régions, un bon retour dans leurs Juridictions et vous charge de transmettre à vos familles respectives mes sincères salutations.
Je déclare close, l’Année Judiciaire 2023-2024 et ouverte l’Année Judiciaire 2024-2025.
Je vous remercie.